Aujourd’hui, pas de masques, mais une jupe ! Pas n’importe laquelle : la jupe Corona, princesse du confinement ! Prétexte au bilan de ces semaines passées et regard tourné vers les suivantes.
Retour en arrière, il y a huit semaines. Nous sommes
vendredi 13 mars 2020
La sortie du planning des cours jusqu’à l’été est prévue aujourd’hui, à 10 h. J’avais travaillé d’arrache pied pendant des semaines pour concevoir et finaliser le planning du printemps. Margot, alors en stage à l’atelier depuis deux semaines, m’avait prêté main forte et nous suivons tous les jours l’évolution du virus qui faisait lentement mais sûrement son arrivée sur le territoire. A l’annonce de la femeture des écoles la veille, c’était sans appel : il allait falloir fermer l’atelier. Quelle déception ! Ayant déjà affronté 5 mois de fermeture pour grossesse compliquée et congé maternité l’année dernière, j’apréhendais doublement cette période. L’Atelier allait-il survivre à cette période ? Fermer, pour combien de temps ?
Ce vendredi matin, en toute hâte, j’envoie des mails pour repousser les cours prévus ces prochaines semaines puis j’annule toutes les publications et newsletter programmées. Repousser, jusqu’à quand ?
La sortie d’un nouveau planning est toujours synonyme d’une journée intense, et voilà que l’on se retrouve tout à coup sans rien à faire.
Le vide dans le planning. Le brouhaha dans ma tête.
L’atelier est sans dessus dessous : fils, livres, et tissus s’amassent sur la table de coupe, à l’approche des puces du fil dans un village voisin ce dimanche. Sur un coup de tête, on déplace tout n’importe comment dans le bureau (et ça n’a toujours pas bougé depuis!) et on fait ce qu’on aime le plus : coudre !
De la couture en apnée, pour ne pas penser à ce qui allait se passer, pour retarder la fermeture. Coudre à toute vitesse, pied au plancher pour ne pas réfléchir. Frénétiquement. Obstinément. Il fallait que cette jupe soit terminée avant que l’atelier ferme. Ca n’avait pas vraiment de sens, puisqu’une fois l’atelier fermé, j’aurai justement tout mon temps. Mais la couture a cela de magique :
Se vider la tête au fur et à mesure que les points se forment.
Détendre les sourcils en fronçant le tissu.
Fermeture tonnerre, ouverture éclair.
Ourlet méditatif à points lancés.
Le résultat, le voilà (on attendra des jours ensoleillés pour faire des photos gambettes à l’air !) Modèle issue du livre Ma garde Robe à coudre pour toute l’année de Charlotte Auzou (dont j’admire l’idée de génie du patron modulable!). Le tissu est une simple toile de coton, reçue en cadeau pour mes trente ans. Le motif me fait penser à une robe qu’avait ma grand mère. Vous remarquerez qu’en toute hâte, je n’ai pas pris le temps de faire coincider les motifs. Baaah…
Quand j’ai tourné le verrou de l’atelier le soir du vendredi 13 mars 2020 après les deux ateliers de l’après midi, j’étais loin de me douter de ce qui allait se passer, et que ces deux mois seraient parmi les plus intenses que j’avais jamais vécu.
Confinés
La suite, vous la connaissez : nous voilà confinés. Personne ne vivra tout à fait le même confinement.
Ici, c’est animé ! Mon mari télétravaille, les enfants se chamaillent, on apprend à passer (beaucoup) de temps tous ensemble. Cuisine, ménage, courses, école à la maison. Adèle fait ses premiers pas. Certains jours passent à toute vitesse, d’autres s’étirent comme du chewing gum. Une seule chose est sûre : les siestes de mes deux marmottes passent à la vitesse de l’éclair, ne laissant que trop peu de temps pour travailler sur de nouveaux patrons.
au bal masqué
Une cliente sage femme me contacte pour lui coudre des masques. Il lui en faudrait environ 70 pour équiper les libérales de l’Aveyron. A partir de là, tout s’enchaine – un peu dans le désordre :
N’ayant pas le temps de coudre tous ces masques, je sollicite les Gourdes de l’atelier. Le groupe de Solidarité Masques en Tissus Aveyron voit le jour (où 170 couturières cousent 16 000 masques bénévolement). Tous les jours il faut modérer, tempérer et recadrer les propos. Pour guider les couturières, je me lance dans le tournage très artisanal de tutos vidéos où j’explique comment coudre un masque. Une vidéo tutorielle vulgarisée du guide Afnor finit sur You Tube et fait 3,5 millions de vues. L’Afnor me contacte pour bosser avec eux, je participe à la version 1.10 du guide de confection des masques. France Inter, Le Monde, France Info, France 2, France 3, l’OBS, Le Parisien, Le Point : mon tuto vulgarisé est repris dans plein de médias. 220 000 visites sur le site en une journée, le serveur tombe. Mon frangin le répare et pousse ses capacités au max. Je reçois plusieurs centaines de messages par jour. J’ai du mal à répondre à tout le monde – surtout à tous ces messages empreints d’angoisses et de peur. Certains messages sont très agressifs (confinés, les cons finis ?). Des masques offerts par le groupe de solidarité sont revendus en douce par d’autres con-finés. Fermeture du groupe. On se recentre sur la fabrication de blouses, en circuit court. 550 blouses seront fabriquées en une semaine.
Huit semaines ont passé. J’ai l’impression qu’un rouleau compresseur m’a roulé dessus.
dimanche 10 mai 2020
Le confinement se termine demain. Enfin, ce fameux “monde d’après”.
Je suis à Station Atelier pour coudre des blouses. C., infirmière en réanimation à l’hopital, et couturière dégourdie nous rend visite avec d’adorables biscuits patissés pour l’occasion. Elle prend la parole devant toutes les couturières présentes ce jour là : nos premières blouses sont arrivées dans son service. Ca leur change vraiment la vie car avant, ils devaient s’habiller avec des sacs poubelle. Un pour chaque bras, un autre pour le buste. Faire des trous pour passer les bras, pas trop grands, sinon ça tombe.
Elle fond en larmes, et nous avec.
Heureusement, on a nos masques en tissu pour les essuyer.
Je sors de l’atelier des blouses hébétée. Que s’est-il passé pendant ces huit semaines ?
Je crois avoir besoin d’un peu de temps pour digérer tout ça, le bon comme le moins bon.
La notoriété confinée.
Le monde virtuel dans la vie réelle.
Le SAV du masque.
Le bénévolat et ses limites.
Le rôle que chacun doit/aurait du jouer.
Il s’est passé tant de choses ces huit dernières semaines ! Quand les choses se seront un peu décantées, il n’en restera que :
le meilleur
Retenons tout d’abord cette collaboration incroyable avec l’AFNOR qui me fit faire un grand plongeon dans le monde de la norme. Je tiens ici à remercier Olivier Peyrat et ses équipes pour la confiance et la patience qu’ils m’ont accordée. Je leur suis très reconnaissante. C’est un honneur et une fierté d’avoir pu apporter ma pierre à l’édifice.
Si j’avais su un jour que mon nom et ma tête de confinée apparaitraient dans un document de cette grande maison… j’en aurai mangé mon masque !
Ce confinement marque aussi le début d’une histoire entre You Tube et moi. Ou plutôt entre vous et la Gourditude ! Vous êtes nombreuses à vous être reconnues dans cette histoire de couture à la Gourde. On va sans doute faire un bout de chemin ensemble…
Enfin, gardons en mémoire une aventure solidaire fabuleuse avec l’équipe de Solidarité Masques en Aveyron puis avec Station Atelier (un immense merci !!). Cela aura aussi été une sacré aventure avec vous tous et toutes qui avez lancé des groupes un peu partout en France, ou qui avez simplement confectionné et distribué des masques à vos proches. Vous êtes nombreux à m’avoir écrit pour remercier pour le tuto, me montrer vos masques et me raconter des bouts de votre vie. Ce fut très touchant.
Une chose est sûre : cet épisode aura prouvé que les couturières, quelque soit leur niveau, en avaient sous la pédale : de l’énergie, de la volonté, et de la bonne humeur. Elles ne sont pas testées en laboratoire par la DGA. Tant mieux, on les aime comme elles sont.
(Messieurs les couturiers, pardonnez-moi l’emploi du féminin. Vu le nombre, je pense qu’il l’emporte !)
Reprise des ateliers ?
La taille de mon atelier ne me permet malheureusement pas d’appliquer à la lettre la réglementation de distanciation sociale. Et puis, c’est peut-être votre cas aussi : n’ayant pas de mode de garde pour Léon, c’est un peu délicat de l’inviter à coudre avec nous !
L’atelier reste fermé jusqu’au 2 juin inclus au moins. Pas d’atelier, ni de cours particuliers pendant cette période. Nous verrons au moins de juin comment s’annoncent les choses, si nous pouvons reprogrammer les ateliers prévus en mars et avril, physiquement ou virtuellement. Je regrette de ne pas pouvoir vous donner d’échéance claire, mais tout le monde aura compris qu’on avance à petits pas dans ce monde d’après.
Si vous souhaitez obtenir le remboursement d’un acompte versé, merci d’en faire la demande par mail.
Tous les bons cadeaux / cartes prepayées sont prolongés du temps de fermeture de l’atelier.
D’autres projets …
Bien sur, je continuerai à vous donner des infos sur les masques dès que j’en aurai. Je suis toujours en contact avec l’équipe de l’AFNOR. Dans l’état actuel de mes connaissances, vous savez tout ! Je vous avoue avoir un peu envie de mettre en pause les masques pendant un temps et de retrouver la couture créative, la vraie !
Deux nouveaux patrons sortiront, je l’espère, d’ici la fin du mois de juin. Des tutos gratuits et patrons sont disponibles sur le site pour ne pas perdre la main !
Des vidéos tutorielles et techniques sont aussi prévues. Vous pouvez vous abonner à ma chaine YouTube pour n’en rien louper.
Le gros projet de ce printemps est surtout la fin des travaux dans mon nouvel atelier situé à Rodez. Un atelier bien plus spacieux où l’on pourra, corona ou pas, prendre pleeeein de place pour coudre ! Il ouvrira ses portes en septembre. J’ai vraiment hâte de vous le montrer et de vous y retrouver pour celles qui habitent en Aveyron !
Je prends quelques jours de repos, et reviens vers vous très bientôt.
Du repos ?
Derrière ma machine bien sur.
J’ai une robe en attente qui ne demande qu’à être déconfinée elle aussi !
Belle journée,
Très Gourdement,
Anne